Culture : le faux plan du gouvernement (Libération.fr)

Ils s’étaient préparés à rouvrir leurs portes le 15 décembre : les salles de spectacles et les cinémas devront attendre au moins jusqu’au 7 janvier. Sans concertation préalable.

Le coup de massue vient donc de tomber. Jean Castex a fait mine d’y mettre quelques trémolos mais au flou anxieux qui a baigné le secteur toute la journée succède l’abattement. Les établissements recevant du public resteront fermés trois semaines de plus. Alors que les acteurs du monde de la culture s’activaient pourtant à remettre les machines en marche, du casse-tête de la programmation des films en salles aux répétitions de théâtre, en passant par les accrochages d’expositions prenant la poussière dans les musées, tout restera porte close durant l’intégralité de la période des fêtes, un nouveau rendez-vous étant donné pour réexaminer la situation au 7 janvier.

Selon une source Rue de Valois, il semble que Roselyne Bachelot, absente de la conférence de presse, ait tout fait pour arracher la réouverture des musées. Les ultimes arbitrages au sommet de l’Etat, auxquels les représentants des principales filières n’ont pas été conviés, ont semble-t-il hésité entre réouverture encadrée par des jauges drastiques avec couvre-feu à 20 heures et le report pur et simple au 20 janvier.

«Pas un coup de fil»

Les images de foules agglutinées à l’entrée des magasins en pleine orgie Black Friday, celles de stations de métro toujours bondées aux heures de pointe ont plongé, ces derniers jours, les professionnels de la culture dans la perplexité. Le fait d’avoir été maintenus dans un flou fort peu artistique a même, pour bon nombre d’entre eux, un goût d’incurie – sinon de mépris – vis-à-vis des ressorts de leurs industries.

A l’image de nombreux distributeurs ayant mis un film à l’affiche à la veille du déconfinement et /ou pour la réouverture, Jean Labadie avance que sa société Le Pacte a «1 million d’euros dehors» de frais d’édition, pour ADN de Maïwenn et le Discours de Laurent Tirard, daté au 23 décembre : «C’est la deuxième fois qu’on nous pousse à y aller, « programmez vos films, faut soutenir l’exploitation française, vous êtes formidables »… Je n’ai pas eu un coup de fil pour nous dire de faire gaffe !» Alexandre Mallet-Guy, à la tête de Memento qui devait sortir mercredi Mandibules de Quentin Dupieux, confirme : «Ça représente 500 000 euros de frais de sortie et 1 million d’avance au producteur.» Lui aussi s’étonne du manque de relais avec la sphère de décision.

A trois heures de l’allocution de Castex, Nicolas Dubourg fulminait : «C’est pas compliqué, je n’ai pas le début d’une info sur si on ouvre ou pas. Cette manière de fonctionner en mode comité de salut public bunkerisé est devenue insupportable.» Bien que président du Syndéac, syndicat national des entreprises artistiques et culturelles rassemblant plus de 400 institutions (des centres dramatiques nationaux, des centres chorégraphiques nationaux, de nombreuses scènes conventionnées, compagnies théâtrales et chorégraphiques…), il ne parvient à joindre personne qui soit associé de près aux décisions ministérielles : «On ne sait rien et on ne comprend rien, ça devient incroyable sur le pilotage politique.»

Même impression de travail à vide et à l’aveuglette pour Nathalie Pousset, à la direction du Théâtre du Nord-Centre dramatique national de Lille qui recevait ces jours-ci les répétitions d’une création de Tiphaine Raffier initialement attendue à Avignon : «On avait déjà tout décalé pour [l’]accueillir. En jauge réduite, les réservations sont pleines, on va devoir rembourser tout le monde. En tant que lieu subventionné, on s’est évidemment fait un devoir de maintenir l’ensemble de notre plan de communication pour faire travailler la chaîne habituelle, du graphiste à l’imprimeur, donc on a lancé les affiches, acheté les espaces publicitaires, etc. C’est cher mais ça ne nous met pas en péril comme les salles du privé, pour qui ce doit être terrible.»

Bulle

Roselyne Bachelot a eu un calendrier médiatique chargé ces dernières semaines, occupant le terrain entre France Culture, Konbini et la couverture d’Elle, mais les professionnels continuent de se plaindre, comme à l’ère Riester, d’un cruel manque de concertation et d’interlocuteurs. Le schéma du Conseil de défense avec ses annonces sur le mode du «stop-and-go» lapidaire énoncé ex cathedra ne passe plus, d’autant qu’il a été demandé aussi bien du côté du spectacle vivant que des cinémas de réfléchir à diverses formes de protocoles. L’expertise des professionnels semble avoir été systématiquement marginalisée au profit d’un dialogue au sommet entre autorités sanitaires, stratégies politiciennes et instances administratives, tout en continuant à demander aux uns et aux autres de s’investir à l’intérieur d’une bulle de plus en plus irréelle. Le metteur en scène Philippe Quesne, au théâtre des Amandiers, parle d’une «méconnaissance du milieu lamentable». Il n’y aura pas de théâtre, ni de cinéma, ni d’expos à Noël. Les plateformes qui ont un public captif dès 20 heures, seules, se frottent les mains.

https://www.liberation.fr/france/2020/12/10/culture-le-faux-plan-du-gouvernement_1808326?fbclid=IwAR1U5WVj5g_4He5UPgypdgt7pHJgDvNI5sRDLGlvKgmaMIE2KnmM6f0gbuA

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