Emmanuel Macron et Bruno Le Maire infirmiers de la musique ? ( Diapason mag)

Le président de la République annoncera mercredi des mesures pour le monde de la culture, tandis que son ministre de l’Economie vient de témoigner de son engagement sur le sujet. Elles sont particulièrement attendues par le secteur musical, où les urgences se conjuguent à l’incertitude.

C’est le tweet du soir qui donne de l’espoir : hier, le président de la République a posté sur son compte officiel le message suivant. « Aux artistes qui se sont exprimés, je veux dire que je les entends. L’État continuera de les accompagner, protègera les plus fragiles, soutiendra la création. L’avenir ne peut s’inventer sans votre pouvoir d’imagination. Mercredi j’annoncerai des premières décisions en ce sens. »

Les tribunes de professionnels alarmés par des perspectives de plus en plus incertaines de réouverture des lieux culturels se multiplient en effet. Le discours du Premier ministre, proposant mardi dernier à l’Assemblée nationale les premières mesures de déconfinement, a renforcé ces inquiétudes. Quasiment rien sur un secteur qui, au-delà de son importance immatérielle, contribue pourtant à 2,2% du PIB, et pas un mot sur le spectacle vivant. Emmanuel Macron s’est probablement montré plus sensible aux appels des figures les plus médiatisées du cinéma et du théâtre qu’à ceux des musiciens. Ces derniers ne sont pourtant guère en reste, et se découvrent un allié stratégique, mais pas vraiment inattendu, en la personne du ministre de l’Economie et des Finances.

Un mélomane à Bercy

Lors d’une réunion avec les représentants du secteur culturel, au soir du 29 avril, Bruno Le Maire s’est vigoureusement élevé contre l’image d’un Bercy hostile aux arts. Celle-ci devait beaucoup aux tentatives de son compère au Budget, Gérald Darmanin, pour limiter le champ d’application du chômage partiel. Il s’est également démarqué de façon claire des positions exprimées par sa collègue Muriel Pénicaud. Le matin même, au micro de France Inter, la ministre du Travail avait laissé entendre que ce dispositif d’aide de l’Etat aux salariés via leurs employeurs s’allègerait rapidement à partir du 2 juin, même dans des secteurs dont le redémarrage serait plus long. « La culture, c’est la France », aurait insisté Bruno Le Maire, selon plusieurs participants. « Il n’y aura pas de redressement français sans redressement de la culture française. Vous êtes l’âme d’un pays que vous rendez plus intéressant, plus intelligent, plus attractif pour les étrangers. Bercy ne bloque pas, et soutient au contraire votre secteur depuis le début ».

L’actuel locataire des quais de la Seine, à qui beaucoup prédisent un possible déménagement à Matignon afin de remplacer Edouard Philippe lessivé par les crises, sait évidemment soigner sa clientèle. Ce mélomane averti, auteur d’un roman salué sur sa passion pour Carlos Kleiber, et spectateur assidu du Festival de la Roque d’Anthéron (un point rappelé en cours de réunion) a su toutefois donner à ses interlocuteurs des signes plus tangibles de son engagement que de simples envolées lyriques. « J’ai entendu un arbitrage capital sur l’éligibilité de tous les employeurs au chômage partiel, indépendamment de leur taux de subvention », souligne ainsi Loïc Lachenal, président des Forces Musicales (opéras et orchestres). Acquis de haute lutte pour les associations et les régies directes, mais dernièrement remis en cause pour les établissements publics autonomes, ce mécanisme est en effet essentiel à l’indemnisation des intermittents du spectacle dont les engagements sont annulés, dépense que les subventions permettent très rarement de couvrir, contrairement à celles de personnel permanent.

« C’était un langage de vérité, n’occultant pas les difficultés à venir, mais soucieux de poser le cadre qui fait défaut », approuve Aurélie Foucher, déléguée générale du syndicat Profedim (ensembles, festivals, centres de création…). « La prolongation du chômage partiel au-delà du 2 juin est évidemment indispensable, mais nous devrons rester vigilants sur sa mise en œuvre. Le ministre a principalement évoqué les lieux fermés, or le secteur est aussi composé de compagnies et d’ensembles dont l’activité est empêchée par ces fermetures. »

Raccord sur ce point avec Edouard Philippe, Bruno Le Maire préfère raisonner sur les hypothèses les plus pessimistes en matière de traitement et de vaccination, quitte à les réviser en cas de bonne nouvelle. « Cinq-cents personnes collées les unes contre les autres dans une salle de cinéma, on ne le reverra pas avant des années, aurait-il déclaré. C’est un devoir de lucidité que de regarder en face la gravité de la situation. Le plus dur est devant nous, car aux difficultés de trésorerie vont succéder celles de solvabilité, dans un contexte de crise économique inédite. Il faut amortir le choc, répondre aux urgences, puis mettre en place un plan de relance de votre secteur. » En six semaines seulement, et malgré d’inévitables tiraillements, le travail acharné et conjoint de tous les ministères et des organisations professionnelles a évité le naufrage immédiat de la culture française. Grâce au chômage partiel évidemment, mais aussi aux fonds d’urgence ouverts aux structures les plus fragiles, pour reprendre la terminologie présidentielle. Le nouveau Centre national de la musique, ancien Centre National de la Variété désormais ouvert à tous les répertoires, a rapidement décaissé 2,5 millions d’euros sur les 11,5 millions redéployés ou obtenus afin de faire face à la crise. « Nous avons évité les cessations de paiement, et faisons évoluer nos critères de manière à répondre aux enjeux de plus long terme », précise son directeur, Jean-Philippe Thiellay. Ces derniers sont d’une telle ampleur que l’enveloppe initiale risque d’être rapidement asséchée.

Des festivals rouges, oranges ou verts ?

Pour les festivals, les enjeux deviennent brûlants. Même en respectant les gestes barrières et la distanciation sociale, M. Le Maire est loin d’être assuré de pouvoir prendre place dans les gradins de La Roque d’Anthéron, malgré la ferme intention affichée par René Martin de maintenir son édition 2020. Car du 2 juin au 31 août, bien malin qui pourrait aujourd’hui prédire le sort des rassemblements comptant entre… 11 et 4.999 personnes ! Même si seuls des optimistes incurables imaginent pouvoir réunir cet été des centaines de spectateurs. « La situation devient ubuesque », soupire Alexandra Bobes, directrice de la fédération France Festivals. « Ceux qui estiment n’avoir plus d’autre choix que d’annuler n’ont pas de base légale pour les évènements postérieurs au 2 juin, car l’annonce du président de la République évoquant la date du 15 juillet n’a été suivie d’aucun décret. Et ceux qui espèrent maintenir ne voient pas venir de cadre précisant leur responsabilité à l’égard des professionnels, des bénévoles et du public ! Les équipes travaillent avec l’énergie du désespoir, mais se sentent abandonnées face à une décision dont l’enjeu les dépasse. Nous leur conseillons de ne surtout pas la prendre seuls, mais en concertation avec leurs tutelles, collectivités territoriales et Etat. »

La carte de France tricolore dont les évolutions font d’ores et déjà l’objet de débats passionnés ajoute encore un élément d’incertitude. Outre les règles sanitaires à respecter, inconnues à ce jour, les festivals maintenus devront-ils impérativement se tenir dans les zones vertes ? Les spectateurs pourront-ils venir des zones rouge et orange ? Et les artistes programmés ? Quant aux déplacements internationaux… Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a évoqué hier des « quatorzaines » obligatoires jusqu’au 29 juillet pour tout entrant sur le territoire français. Et le sort du transport aérien avant l’automne n’incite pas à l’optimisme. Pas ou très peu de public étranger, donc, et un sérieux risque à inviter des interprètes. Nos voisins italiens sont d’ailleurs en train de décommander tous les artistes venant d’autres pays qui devaient jouer dans les festivals et saisons de concert de l’automne comme le Milano-Torino, ou la Pergola à Florence. Une mesure encouragée par les édiles locaux, qui suscite le malaise parmi les artistes transalpins et nourrit un soupçon xénophobe. Il est vrai qu’entre la crise des migrants et celle du Covid, la Péninsule commence à trouver bien timide la solidarité européenne.

La transition, avant le redémarrage

Si les festivals d’été concentrent les inconnues, elles sont loin par ailleurs de se dissiper aux abords de l’automne. « Là aussi, il faut regarder la réalité en face, estime Aurélie Foucher. Rien ne sera normal. Impossible d’engager de façon certaine un artiste étranger, ni a fortiori de prévoir une tournée internationale, dont les dates sont pourtant vitales dans l’équilibre économique des productions. Impossible aussi de prévoir la jauge et donc la recette des salles, entre une nouvelle réglementation qui doit se mettre en place, et une fréquentation incertaine. Et même si la création d’un groupe de travail au sein du Centre national des professions du spectaclereprésente une avancée déterminante, il faudra du temps pour établir des protocoles sanitaires clairs et les actualiser en fonction des avancées scientifiques. Les salariés sont déchirés entre l’urgence psychologique autant que financière de reprendre le travail, et la peur de se contaminer ainsi que leurs proches. Les employeurs sont face à une responsabilité morale et pénale écrasante. »

Un consensus émerge cependant sur le fait que les activités musicales doivent reprendre au plus vite, mais selon une méthode comparable à celle du déconfinement : en poupées russes, en fonction du risque propre à chaque format, effectif, types de lieux et de circulations. « Cela coûtera toujours moins cher à la collectivité que de laisser tout le monde au chômage partiel, observe Loïc Lachenal. Et rendra d’autant plus légitime son maintien pour les personnels qui ne peuvent pas reprendre dans des conditions de sécurité garanties. Plutôt que de redémarrage, je préfère parler d’une transition, qui durera au mieux toute l’année 2020. »

Son schéma commence aujourd’hui à se dessiner. D’abord des concerts sans public, à l’image de ceux mis en ligne par plusieurs formations européennes, et peut-être dès la fin mai par celles de Radio France, si le dialogue aboutit avec des syndicats très réticents. En appliquant la bonne distanciation, les cordes ne présentent pas de danger de contamination particulier – on peut donc s’attendre à retrouver rapidement quelques pièces bien connues de Vivaldi, Barber et Bartok… Pour les vents, qui représentent en revanche un risque potentiel sérieux, l’expérimentation avance à grande vitesse : masques à embout, charlottes, paravents… tout l’enjeu étant d’associer praticité technique et artistique et sûreté sanitaire.

Si l’épidémie ne connaît pas de résurgence, et si les lieux fermés parviennent à se mettre en conformité avec des exigences accrues en matière de ventilation et de climatisation, y accueillir un public suffisamment espacé et masqué devrait être envisageable autour de l’automne. Il reste, hélas ! beaucoup à préciser quant aux modalités permettant de rappeler les chanteurs au plateau et, de façon générale, de lever le rideau sur un spectacle musical, tant du fait des interactions en scène que de la proximité dans la fosse. Peu d’organisateurs les imaginent aujourd’hui possibles avant le mois de janvier 2021, si tout va bien. Nos artistes et techniciens auront donc bien besoin des prolongations du chômage partiel envisagées par Bruno Le Maire, ainsi que de l’année blanche qu’ils réclament pour le maintien des prestations et des droits des intermittents du spectacle. Et le plan de relance mentionné par le ministre, aux principes duquel la profession commence à réfléchir, aura sans doute pour piliers la compensation des nouveaux coûts sécuritaires et celle du déficit des billetteries.

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