Réforme des retraites : ce qui risque de changer pour les musiciens (La Lettre du musicien)

Avec l’aimable autorisation de la Direction de La Lettre du musicien

De nouvelles journées de grève sont prévues le 7 et le 11 mars prochains. Les artistes et leurs syndicats continuent de se mobiliser. Quel serait précisément pour eux l’impact d’un recul de l’âge de départ ?

Alors que le Sénat a commencé hier, jeudi 2 mars, l’examen de la réforme des retraites, la mobilisation se poursuit. Une nouvelle journée de grève est prévue mardi 7 mars, durant laquelle les syndicats espèrent voir les musiciens à l’arrêt : « La réforme concerne tout le monde : les intermittents, mais aussi les enseignants et les salariés d’ensembles permanents », affirme Christophe Pons, secrétaire général de la branche parisienne du Syndicat des artistes musiciens (SNAM-CGT). Un dessin circule actuellement sur les réseaux sociaux : il montre une manifestation dans laquelle on peut lire des pancartes indiquant « électriciens », « pompiers », « enseignants », « cheminots », etc. Sur le côté trois manifestants accourent en criant « On arrive ! ». Sur leurs pancartes on peut lire « artistes » et « auteurs ». Depuis le 19 janvier, première journée de mobilisation, les manifestants restent nombreux dans les rues. Entre 900 000 et 3 millions de personnes se sont chaque fois déplacées pour grossir les rangs des différents cortèges. 

Pénibilité des métiers de la musique

La réforme vise à allonger l’âge de départ à la retraite à taux plein de 62 à 64 ans. Un seuil valable pour tous, dès lors que l’on comptabilise un nombre d’annuités suffisant, à quelques exceptions près : les travailleurs de certaines professions dont la pénibilité est reconnue (qui restent peu nombreuses) pourront partir avant, ainsi que certains salariés ayant commencé à cotiser avant l’âge de 20 ans.

Le métier de musicien ne fait pas partie des ceux considérés comme pénibles, malgré l’importance du nombre de pathologies et de troubles liés notamment aux gestes répétitifs et à l’exposition sonore : « Bien sûr, les musiciens jouent toute leur vie parce qu’ils sont passionnés. Mais l’enjeu est celui de tenir avec le même niveau d’intensité et de performance, défend Karine Huet, secrétaire générale adjointe du SNAM-CGT. Jouer huit heures par jour et porter des instruments parfois très lourds induisent des troubles musculosquelettiques, des tendinites et des problèmes d’hyperacousie ». 

La fin des régimes spéciaux ?

Les techniciens du spectacle vivant se sont également mobilisés, en particulier à la Philharmonie de Paris qui a déjà dû annuler des représentations aux mois de janvier et de février en raison d’une grève générale du personnel technique : « Les critères de pénibilité sont devenus plus restrictifs il y a déjà plusieurs années, et nos métiers ne rentrent plus dans cette catégorie, déplore Claire Serre-Combe, secrétaire générale adjointe du Syndicat des professionnels du théâtre et des activités culturelles (SYNPTACT-CGT). Nous travaillons sur des horaires du soir et même la nuit, dans un environnement sonore parfois très intense, avec des ports de charges lourdes ».Si la réforme vise également à mettre fin aux régimes spéciaux dans plusieurs professions, notamment à la RATP, à la Banque de France, ou encore dans les industries électriques et gazières, les régimes spéciaux de l’Opéra de Paris ne seraient quant à eux pas encore menacés : « Notre régime est préservé, mais la loi n’est pas encore votée. L’un des amendements reste un peu ambigu à ce sujet », précise Christophe Vella, percussionniste à l’Orchestre de l’Opéra de Paris et représentant syndical. L’Opéra de Paris a en effet une caisse propre, alimentée par tous les salariés ainsi que par la billetterie, et qui concerne tout le personnel. Par ailleurs, si, en 2019, le départ à l’âge de 42 ans des danseurs du ballet de l’Opéra de Paris avait été remis en cause, ce ne serait plus le cas aujourd’hui. 

Les intermittentes risquent plus gros

Les intermittents, dont les carrières sont parcellaires et pour qui les périodes d’assurance chômage sont nombreuses, sont souvent contraints de partir après 62 ans pour avoir le nombre nécessaire d’annuités. Cependant, une fois cet âge atteint, ils bénéficient d’un maintien de droit : ils doivent ainsi continuer à travailler, mais n’ont plus à justifier des 507 heures règlementaires pour l’intermittence : « Si l’âge de départ est repoussé, l’âge de passage au maintien de droit le sera aussi », s’inquiète à cet égard Karine Huet.

Alors que le rapport du Centre national de la Musique sur la place des femmes dans la filière musicale révèle une baisse du nombre d’intermittentes à l’âge de 30 ans (c’est à dire au moment de l’âge moyen de la maternité dans la population générale), la réforme pourrait quant à elle s’avérer plus délétère là aussi pour les femmes que pour les hommes. Elle ne prend en effet pas en compte les carrières plus fragmentées des femmes, qui s’arrêtent davantage pour prendre des congés parentaux liés à la maternité et à la famille : « Je n’ai pas pris mes congés parentaux, déplore Victor*, technicien du spectacle vivant depuis vingt ans. J’aurais été moins bien rémunéré qu’avec l’assurance chômage, j’ai dû faire ce choix pour des raisons économiques ».

Le chômage des seniors dans l’intermittence

Par ailleurs, les interprètes s’inquiètent de l’âge de départ dans un contexte où les artistes seraient de moins en moins sollicités pour des projets à mesure qu’ils vieillissent : « Il existe un certain ”jeunisme” dans notre filière, qui rend difficile l’emploi des seniors », affirment à cet égard les membres du collectif militant La Crécelle. 
Un point qui rejoint un questionnement plus large, soulevé le 1er mars par une étude de l’Unédic. L’association paritaire qui gère l’assurance chômage note qu’un recul de l’âge du départ à la retraite pourrait s’avérer contre-productif : il augmenterait à terme le nombre de bénéficiaires de l’assurance chômage, et donc ses dépenses, alors que cette réforme est présentée par le gouvernement comme un moyen d’augmenter les recettes de cotisations. 

* Le prénom a été modifié

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