En avril 2019, nous avons contesté devant le Conseil d’État la fusion forcée de la convention collective des artistes interprètes engagés dans les émissions de télévision avec celle de la production audiovisuelle, en raison des menaces qu’elle faisait peser sur les droits spécifiques des artistes interprètes. À cette occasion, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée sur le processus même de la restructuration forcée des conventions collectives.
L’enjeu de notre procédure est bien entendu de préserver les spécificités de notre convention collective, mais c’est aussi l’occasion d’interroger le rapport entre la démocratie politique et la démocratie sociale. La loi El Khomri et les ordonnances Macron ont fragilisé considérablement les prérogatives des branches professionnelles, nous nous interrogeons donc sur les motivations réelles de l’État lorsqu’il ambitionne de résumer le paysage conventionnel à 100 ou 50 conventions collectives au total. Le processus de fusion autoritaire des conventions collectives ne met-il pas en danger notre démocratie sociale ? N’est-t-il pas du rôle des organisations syndicales et patronales, qui connaissent le mieux les conditions sociales et économiques d’une branche de déterminer le périmètre d’une convention collective ? Est-ce un moyen pour l’État de redessiner les paysages syndicaux existants ? Autant de questions auxquelles nous espérons des réponses à travers notre recours.
La décision du Conseil Constitutionnel ne va pas aussi loin que nous l’aurions espéré. Pour autant, elle fixe des limites à l’intervention de l’État dans ce processus de fusion des conventions collectives et apporte des garanties fondamentales aux salariés.
Voici les différents points marquants de cette décision.
– Le Conseil Constitutionnel affirme que le législateur, à travers le processus de restructuration des branches professionnelles, poursuivrait un objectif d’intérêt général : celui de remédier à l’éparpillement des conventions collectives. En revanche, l’action de l’État est circonscrite et ne pourra intervenir que dans un « but de renforcer le dialogue social au sein des branches et de leur permettre de disposer de moyens d’action à la hauteur des attributions que la loi leur reconnaît, en particulier pour définir certaines des conditions d’emploi et de travail des salariés et des garanties qui leur sont applicables, ainsi que pour réguler la concurrence entre les entreprises. ». Ce but de renforcement du dialogue social est important. Dans le cas de la branche des artistes interprètes engagés dans des émissions de télévision, la fusion autoritaire s’est traduit par une paralysie du dialogue social alors même que le secteur audiovisuel vit des évolutions importantes qu’il est essentiel d’accompagner.
– Le Conseil Constitutionnel précise également le cadre dans lequel les fusions de branches peuvent être engagées. Les branches concernées doivent avoir des « conditions sociales et économiques analogues » et répondre à des critères qui sont en rapport avec l’objectif d’intérêt général susvisé. Fort logiquement, le Conseil Constitutionnel annule l’article de loi qui offre au ministre du Travail la possibilité de fusionner plusieurs conventions collectives « afin de renforcer la cohérence du champ d’application des conventions collectives », car cette disposition laisse à « l’autorité ministérielle une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier la fusion ».
Deux réserves d’interprétation caractérisent également cette décision.
– La première précise la place des organisations syndicales et patronales qui ne sont plus « représentatives » au sein de la nouvelle convention collective à l’échéance de la nouvelle mesure d’audience.
– La seconde est fondamentale. Elle tient aux garanties qui sont apportées aux droits des salariés.
Le Conseil Constitutionnel nous assure ainsi que la loi ne peut mettre fin de plein droit aux dispositions de la convention collective fusionnée qui régissent des situations spécifiques (les salaires, ou les droits voisins des artistes interprètes par exemple). Cette réserve d’interprétation assure donc aux salariés que leurs droits ne disparaîtront pas avec le processus de fusion, chose que ne garantissait pas jusqu’alors la loi.
En ce qui concerne la branche des artistes interprètes engagés dans des émissions de télévision, l’affaire se poursuit devant le Conseil d’État qui va désormais se pencher sur les conséquences de cette question prioritaire de constitutionalité et sur la conformité de la loi aux conventions internationales.
Secrétariat CGT SPECTACLE.