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Avec l’aimable autorisation de la Direction de La Lettre du musicien
Les ATEA et PEA utilisent pour la majorité d’entre eux leur instrument personnel dans le cadre de leur enseignement. Cette pratique qui n’est encadrée par aucun texte paraît contestable juridiquement et a des conséquences pratiques importantes.
Le Conseil d’Etat a érigé en principe général du droit (PGD) 1 le fait que « les frais qu’un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de son employeur doivent, dès lors qu’ils résultent d’une sujétion particulière, être supportés par ce dernier » 2. Une lecture rapide pourrait conduire à soutenir que les frais exposés par les ATEA (assistants territoriaux d’enseignement artistique) et PEA (professeurs d’enseignement artistique) assistants et professeurs territoriaux d’enseignement artistique devraient être supportés par l’employeur. Cependant, cet arrêt vise notamment des articles du Code du travail relatifs aux mesures de sécurité, d’hygiène et de santé au travail 3 applicables à la fonction publique territoriale 4. Ce principe se limite donc a priori aux seules sujétions supportées par un agent pour sa sécurité et sa santé 5. Applicables aux protections utilisées par les PEA et ATEA (bouchons d’oreille, panneaux acoustiques…), il ne semble pas pouvoir être étendu au-delà.
Une lecture extensive a été très récemment retenue : ce PGD implique que « les frais qu’un salarié expose pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de son employeur sont supportés par l’employeur » 6. Tous les frais exposés par les ATEA et les PEA, y compris, pour leur instrument, devraient alors être supportés par l’employeur. à notre connaissance, cette interprétation n’a pas été reprise en droit positif.
Cependant, le fait que l’employeur supporte les frais exposés par l’agent pour exercer son activité professionnelle paraît être un principe de bon sens. Un raisonnement par analogie pourrait alors être une autre voie pour le justifier. Ainsi, les frais d’un agent en déplacement pour les besoins du service sont indemnisables, y compris lorsqu’il est autorisé à utiliser son véhicule personnel 7.
De même, l’employeur prend en charge « les coûts découlant directement de l’exercice des fonctions en télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci » 8. Même si l’indemnisation forfaitaire mise en place 9 ne permet pas un remboursement total, elle participe de l’idée que les agents n’ont pas à supporter les frais engagés pour l’exécution de leur mission et que l’employeur doit mettre à disposition les outils de travail. Les activités accessoires effectuées par les ATEA et PEA à leur domicile ne relevant pas du télétravail, elles n’ouvrent pas droit au bénéfice de ces dispositions. Or, la situation de ces agents et celle de leurs collègues en télétravail ne paraissent pas être d’une nature si différente qu’elle justifierait cette disparité.
Dès lors, à supposer que le PGD précédemment évoqué ne soit applicable qu’aux équipements de protection, l’esprit des textes évoqués conduit à ce que l’agent ne supporte pas des frais exposés pour les besoins exclusifs du service. Il pourrait être opposé que les activités accessoires sont une caractéristique des cadres d’emploi des ATEA et PEA ce qui exclurait juridiquement toute rupture d’égalité avec des agents relevant d’autres cadres d’emploi 10. Cet argument n’est pas, à notre sens, très sérieux. D’une part, il faudrait s’interroger sur le fait que le temps de préparation conduit les enseignants à utiliser des outils et consommables identiques aux agents en télétravail. Dès lors, la contrainte financière pèserait plus lourdement sur certains agents du seul fait de leur cadre d’emploi et non des contraintes liées à leur métier.
D’autre part, il existe une rupture d’égalité entre des agents d’un même cadre d’emploi. Pour certains ATEA et PEA, l’instrument nécessaire à l’exercice de leurs missions est fourni : les accompagnateurs et des enseignants des classes de claviers, harpes, percussions, contrebasses… Pour ces derniers, certes, ces instruments sont prioritairement destinés aux élèves mais ils peuvent les utiliser pour leur travail personnel et lors de concerts organisés par leur établissement. Dès lors, le seul volume de ces instruments ne saurait justifier cette disparité 11.
De lourdes conséquences
L’absence de mise à disposition des ATEA et des PEA de matériels adaptés à leur enseignement a des conséquences pécuniaires importantes. En effet, des instruments professionnels coûtent généralement plusieurs mois de traitement. Sans mise à disposition d’instruments, un agent devra contracter un emprunt pour acquérir l’outil de travail nécessaire à l’exercice des missions confiées par son employeur : il s’endettera pour travailler. Outre le prix d’acquisition de l’instrument, doivent être pris en compte les frais d’entretien et le renouvellement de certains consommables (anches, cordes, mèches des archets…).
Enfin, les agents devront assurer leur instrument personnel puisqu’en cas de dommage, ils ne peuvent être certains que leur collectivité couvrira un préjudice portant sur un bien personnel. Le coût de l’assurance et de l’éventuelle franchise viendra donc s’ajouter aux frais exposés par les agents.
S’agissant de l’obligation d’assurer les biens personnels utilisés pour le service, les textes réglementaires prévoient que l’agent doit souscrire « une police d’assurance garantissant d’une manière illimitée sa responsabilité au titre de tous les dommages qui seraient causés par l’utilisation de son véhicule à des fins professionnelles », n’a pas droit remboursement de cette assurance ni à aucune indemnisation pour les dommages subis par son véhicule 12. Naturellement, un parallèle pourrait être fait avec l’instrument personnel : il incomberait alors à l’agent de souscrire à ses frais une assurance et aucun dommage ne serait remboursé par l’employeur.
Il nous semble tout de même que ce raisonnement par analogie présence de nombreuses limites. Tout d’abord, l’assurance d’un véhicule terrestre à moteur est une obligation légale 13. De plus, contrairement à l’utilisation d’un véhicule personnel, aucun texte ne vient poser le cadre de l’utilisation d’un instrument et encore moins imposer à l’agent de contracter une assurance.
Enfin, dans la plupart des cas, l’agent pourrait recourir à un autre mode de transport pour assurer sa mission, raison pour laquelle l’utilisation d’un véhicule personnel est soumise à l’autorisation accordée sous réserve que l’intérêt du service le justifie 14. Or, les ATEA et PEA n’ont pas de solutions alternatives fournies par leur employeur qui leur permettrait de ne pas recourir à leur instrument personnel. Dès lors, la comparaison avec le recours au véhicule personnel ne paraît pas pertinente s’agissant de la problématique de l’assurance. Une position très sévère consisterait à affirmer que les enseignants n’ont pas besoin d’un instrument pour exercer leur mission ce qui conduirait à remettre en question la pédagogie largement utilisée et basée sur l’exemple donné à l’instrument. La participation des enseignants avec leur instrument personnel à des répétitions et des concerts au sein de l’établissement ne relève pas de leurs missions et devra être rémunérée. L’acquisition par l’employeur d’un parc instrumental de qualité professionnelle serait la solution la plus favorable aux agents. Sa mise en œuvre est peu vraisemblable au regard des lourdes contraintes financières pesant sur les collectivités.
La situation paraît donc inextricable : normalement, les collectivités devraient fournir les instruments à leurs agents 15. En pratique, la grande majorité des collectivités n’a pas les moyens financiers d’acheter un parc instrumental pour les agents ni même, pour certaines, pour les élèves. En toute hypothèse, le fait que des enseignants supportent les frais liés à l’acquisition et à l’entretien de leur instrument est indéniablement une des spécificités de leur métier. Lorsqu’au nom de l’égalité avec les autres agents de la fonction publique territoriale, le statut des ATEA et des PEA est remis en cause, rappelons-nous que les autres agents n’ont pas à fournir leurs outils de travail.
Marie Cochereau
- Principes dégagés par la jurisprudence s’imposant au pouvoir réglementaire (par ex. égalité d’accès des citoyens aux emplois publics)
- CE, 17/06/2014, ERDF et GRDF, n° 368867, mentionné
- Art. L. 4122-2, R. 4323-95 et R. 4321-4 du Code du travail
- Art. L. 811-1 du Code général de la fonction publique
- L’arrêt prescrit la prise en charge par l’employeur des frais d’entretien et de nettoyage de vêtements de travail imposés par l’employeur pour la part excédant l’entretien et le nettoyage des vêtements ordinaires
- Concl. Rapporteur public R. VICTOR sur CE 14 avril 2022, n° 453230
- D. n°2006-781 du 3 juillet 2006 sur renvoi du D. n°2001-654 du 19 juillet 2001
- D. n° 2016-151 du 11 février 2016
- D. n° 2021-1123 du 26/08/2021
- CE 19 avril 1967, n° 66410, A ; CE 08/11/2019, n° 401264, C
- Ce propos est à relativiser : même les agents ayant un instrument à disposition dans leur établissement acquièrent généralement un instrument personnel, en raison des conditions matérielles des conservatoires.
- D. n°2006-781 du 3 juillet 2006, art. 9 applicable à la fonction publique territoriale par renvoi du D. n°2001-654 du 19 juillet 2001
- Art. L. 324-1 du Code de la Route
- D. n°2001-654 du 19 juillet 2001, art. 15
- Cf. par exemple l’interview de François Verheecken, directeur général des services de la Commune de Roncq, qui affirme que sa collectivité fournit l’instrument à ses agents ou paie l’entretien de leur instrument personnel