Communiqué: Débattre de l’art lyrique en se passant de celles et ceux qui le font.

L’annonce en septembre dernier, par la ministre de la culture, Roselyne Bachelot-Narquin, de la création d’une mission dédiée à la politique de l’art lyrique en France a été reçue avec enthousiasme par les professionnels, artistes, techniciens et personnels administratifs de ce secteur artistique trop longtemps éloigné de l’attention des ministres de la culture de ces dernières décennies. Car, en dépit du peu d’engouement pour l’opéra de certains responsables des politiques culturelles de notre pays, l’attachement du public ne s’est lui jamais démenti.

Et pendant cette longue crise sanitaire qui paralyse le spectacle vivant, le succès des diffusions via le net d’œuvres lyriques atteste de ce goût et de l’impatience des mélomanes devant les portes closes de nos maisons d’opéra. On allait donc enfin pouvoir débattre de la situation de l’art lyrique en France.

Nos attentes étaient d’autant plus vives que la lettre de mission de la ministre nous promettait un champ d’études et de réflexions très large : modèle économique et évolution des financement (publics et privés), éducation artistique et culturelle, coopération et mutualisation entre théâtres lyriques, démocratisation et ouverture aux publics, autant de thèmes et de problématiques qui justifiaient qu’un vaste débat s’ouvre avec l’ensemble des acteurs de ce secteur. Même si nous regrettions l’absence des questions sociales dans cet lettre, nous pensions qu’enfin, ceux qui font vivre l’art lyrique en France, les tutelles et les directions artistiques et administratives bien sûr, mais aussi les musiciens et musiciennes, les artistes des chœurs et des ballets, permanents et intermittents, les solistes, les techniciens et artisans en charge des décors, des costumes, des lumières, tous ces hommes et ces femmes qui consacrent leur vie à l’opéra allaient pouvoir témoigner, débattre, proposer des pistes pour l’avenir de leur passion partagée.

Les conditions d’organisation des travaux de cette mission ont vite douché nos espoirs. Tout d’abord, nous avons été surpris de voir confier la responsabilité d’une telle mission à Caroline Sonrier. Elle a de toute évidence une grande connaissance du monde lyrique, mais sa particularité est de diriger une maison d’Opéra qui, à l’inverse du modèle dominant en France et dans toute l’Europe ne construit pas sa programmation sur un ensemble orchestral et un chœur permanent. Au contraire, on l’a déjà entendue défendre publiquement un contre modèle fondé sur des invitations d’ensembles musicaux constitués d’artistes précaires. Un tel choix nous semblait révélateur d’un a priori qui pouvait être inquiétant mais nous étions prêts à confronter nos points de vue dans des échanges que nous souhaitions constructifs.

Nos espoirs se sont encore amenuisés lorsque nous avons appris que des groupes de travail avaient déjà été constitués avec des personnalités choisies par Caroline Sonrier, que ces groupes se réunissaient mais sans que les représentants des professionnels que nous sommes aient été invités à y participer et ni même consultés sur les sujets à traiter. Tout juste nous invitait-on à prendre connaissance des comptes rendus de leurs travaux. Nous avons bien sûr demandé poliment à y être intégrés pour y être force de proposition… Mais on nous l’a refusé. Nos échanges avec les différentes parties prenantes se limitaient à notre présence dans la commission centrale au cours de laquelle, lors de la toute première réunion, nos représentants ont pu in extremis, s’exprimer six minutes en tout !

Nous avons bien sûr communiqué par écrit les questions que nous aurions voulu voir abordées. Mais il ne nous a été proposé aucun cadre, aucun moment pour pouvoir les mettre en débat avec l’ensemble des participants. Les professionnels choisissent en toute liberté des organisations syndicales qu’ils rejoignent ou à qui ils accordent leurs suffrages lors des élections de leurs représentants dans leurs établissements. A ce titre la présence d’élus CGT, notamment issus des orchestres ou des chœurs, dans la totalité des maisons d’opéra en France, tout comme notre position très majoritaire dans le secteur nous amène à penser que sans conteste, Mme Sonrier a délibérément choisi d’organiser sa mission en reléguant à un rôle secondaire les représentants syndicaux issus de ces processus démocratiques.

Mais au-delà de notre exclusion des groupes de travail, c’est une conception profondément méprisante des professionnels qui transparaît au travers d’une telle méthode. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les animateurs de cette mission ont jugé pouvoir penser l’opéra, dresser un bilan des activités et des usages des théâtres lyriques, réfléchir aux évolutions de nos métiers, sans que l’immense majorité des professionnels concernés par ces problématiques ne puissent croiser leurs expériences et débattre avec les « experts » jugés dignes de contribuer à cette réflexion. Comme si les milliers d’artistes, de personnels administratifs et techniques, ceux et celles-là mêmes sans qui les maisons d’opéra seraient des coquilles vides, n’avaient aucune expertise, aucune capacité d’analyse, aucune compétence autre que celle d’être les petites mains d’un projet qui les dépasse.

Une telle attitude n’est pas toujours celle des personnalités en charge de missions d’étude. Ainsi, Anne Poursin et Jérôme Thiébaux, à qui la ministre a confié une mission parallèle sur l’avenir des orchestres symphoniques ont fait le choix au contraire d’aller à la rencontre des musiciens, des musiciennes et des directions d’orchestre. Récolter leurs témoignages et leurs propositions est le meilleur moyen d’espérer approcher les réalités de la création artistique. C’est la raison pour laquelle nous continuons d’y collaborer en invitant tous nos collègues à s’exprimer sur les sujets en discussion.

Comme un tel processus est refusé par Madame Sonrier, nous considérons que notre présence est inutile dans la mission qu’elle dirige. Nous la quittons donc avec de fortes inquiétudes sur le contenu des recommandations qui pourraient être faites à la ministre.

Mais nous ne nous satisfaisons pas de ce constat d’échec. Dans les prochaines semaines, nos syndicats prendront ensemble des initiatives pour que l’avenir de l’art lyrique en France puisse devenir l’objet d’un dialogue ouvert et respectueux des rôles de chacun avec l’ensemble des professionnels permanents ou intermittents, des représentants des collectivités territoriales et des dirigeants des structures lyriques de notre pays. En effet, les acteurs du monde de l’opéra qui acceptent d’échanger avec nous en toute transparence et de tous les sujets ne manquent pas.

Paris le 14 avril 2021

SNAM-CGT – (Union Nationale des Syndicats d’Artistes Musiciens de France) philippe.gautier@snam-cgt.org

SFA-CGT – (Syndicat Français des Artistes Interprètes) – l.sorin@sfa-cgt.fr

SYNPTAC-CGT – (Syndicat des National des Professionnels du Théâtre et des Activités Culturelles) – rvanderheym@synptac-cgt.com