Avec l’aimable autorisation de la Direction de La Lettre du musicien
L’association Mécénat musical Société générale (MMSG) cédera sa place en septembre à une fondation réunissant la solidarité et la musique. Quel sera l’impact pour le paysage musical ?
En septembre prochain, Mécénat musical Société générale (MMSG) – fondation de mécénat pour la musique classique créée en 1987 puis transformée en association en 1991 – sera restructurée en fondation d’entreprise. Cette nouvelle structure, « C’est vous l’avenir », regroupera les deux axes de la politique du mécénat du groupe, à savoir la musique classique et la solidarité.
Dans une tribune publiée dans Marianne le 8 juillet dernier, les membres du conseil d’administration de MMSG* dénoncent cette restructuration à laquelle ils regrettent de ne pas avoir pu prendre part. « Il me semble que la qualité de la réflexion commune aurait permis que nous soyons consultés aux fins d’aider à construire l’avenir selon les principes du mécénat, ce que nous avons cultivé avec constance », déplore Alain Meunier, concertiste et cosignataire de la tribune.
Les signataires craignent que la nouvelle structure devienne une vitrine strictement au service de la communication de la Société générale.
La qualité du mécénat, jusqu’alors saluée par les partenaires de MMSG, va-t-elle flancher au profit d’une fondation à la conquête de l’image ? C’est en tout cas ce qui inquiète le pianiste et compositeur Jean-François Zygel, cosignataire de la tribune : « L’indépendance et la qualité du mécénat défendues par les administrateurs de l’actuelle association loi 1901 seront nécessairement, tôt ou tard, mises à mal par une fondation d’entreprise dont tout laisse à penser qu’elle est en train de céder aux sirènes de la communication en s’engouffrant dans des opérations hyper médiatisées ou en brandissant l’éternel paravent de l’aide aux jeunes. » Les signataires s’étaient alertés l’an passé lorsque la communication du groupe avait associé le nom de la « MMSG » à la tournée d’été de Gautier Capuçon, sans s’assurer au préalable du consentement des membres du conseil d’administration qui « n’approuvaient pas cette opération ». « Depuis quelque temps, l’association est sans doute apparue à d’aucuns comme un instrument insuffisant du rayonnement de la Société générale, d’où sa fin programmée par absorption, note Alain Meunier. Ce caractère promotionnel – non pas pour l’artiste en question, notre propos n’est pas là mais pour la maison mère – nous dérange. ».
Face à cette tribune, la Société générale se dit « indignée » et rappelle les engagements du groupe, notamment sur le plan financier : un budget de près de 2 millions d’euros versés en 2020 à l’association. « Nous sommes un mécène de référence depuis trente ans. Nous avons été présents pendant la crise. Nous n’avons pas débloqué 2,5 millions d’euros supplémentaires afin de soutenir les jeunes et nos partenaires qui sont en difficulté pour tout arrêter en 2021 », nous dit la Société générale.
Changement de statut juridique
Si les musiciens étaient majoritaires dans le conseil d’administration de MMSG, il pourrait en être autrement au sein de la nouvelle fondation. Quid, alors, de l’indépendance du mécénat vis-à-vis du groupe ? D’autre part, jusqu’à présent, l’association était exclusivement dédiée à la musique classique (nouveaux publics, aide aux jeunes musiciens, soutien d’une musique d’excellence). Quelle sera, à l’avenir, la part du budget alloué à la musique par rapport à la solidarité ? Enfin, les signataires s’inquiètent de cette fusion entre le social et la musique. « Le champ de la musique classique est un champ autonome, qui a besoin d’être aidé pour lui-même. Réunir dans une même fondation deux choses aussi différentes que la solidarité sociale et la musique classique est à la fois une erreur et un mirage. À terme, cela ne peut que mener à l’abandon de tout ce qui faisait l’originalité et l’efficacité du mécénat de notre association », considère Jean-François Zygel. De son côté, la Société générale, qui « annoncera l’ensemble des axes et des détails exacts plus tard », assure qu’elle « continuera sans cesse à soutenir la musique classique, que ce soit l’excellence des professionnels, les jeunes dans leur formation et puis également l’accès à la musique classique. »
« Nous n’avons pas de raison d’être inquiet »
À la suite de la parution de la tribune, la Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux (Fevis) a publié un communiqué pour rappeler le rôle extrêmement important qu’avait joué MMSG mais aussi pour lever toute ambiguïté sur son implication dans cette tribune, l’une des signataires, Marie-Hédin Christophe*, ayant été présentée comme ex-déléguée générale de la Fevis. « Nous ne voulions pas être associés à une tribune à laquelle nous n’avions pas participé et avec laquelle nous ne sommes pas d’accord sur le fond. La tribune faisait référence à des risques, mais sans que l’on sache précisément quelle était la nouvelle réorganisation de la MMSG, explique Louis Presset, délégué général actuel de la Fevis. Nous n’avons pas de raison d’être inquiet, en revanche, nous avons tous les éléments pour être satisfaits du travail qu’a fait MMSG. Cela nous semblait important de le dire. » Le même jour, Le Concert spitiuel s’est joint au communiqué.
Questionnement sur le mécénat
Au-delà des remaniements internes du mécénat de la Société générale, les inquiétudes posées par ce changement de statut interrogent plus globalement sur le mécénat de la musique classique en France. Et sur ce point, les avis convergent. « L’émoi suscité par l’éventuel changement de politique d’un grand mécène met en évidence la dépendance de notre écosystème envers ces fonds privés et le problème de soutien public de nos secteurs. Cela signifie que, le jour où ces privés disparaissent, nous nous retrouverons avec un secteur structurellement laminé », relève Louis Presset.
En effet, les dernières études bi annuelles de la Fevis mettent en lumière une baisse constante des financements publics par rapport au nombre des ensembles et à l’importance de leurs activités artistiques. « Les jeunes ensembles – et même moins jeunes – ont de plus en plus de mal à accéder à une aide pluriannuelle. Les Drac n’ont plus la capacité de suivre le développement des ensembles parce qu’elle n’ont plus de marge de manœuvre financièrement. » Pour Jean-François Zygel, « il est temps de susciter un mécénat indépendant, transparent et vertueux. »
Flore Caron
*Marie Hédin-Christophe, directrice générale de La Lettre du Musicien est au conseil d’administration de MMSG.