Avec l’aimable autorisation de le Direction de la Lettre du musicien
Les nouvelles technologies révolutionnent le secteur de la musique. L’engouement porte désormais sur les NFT (Non Fungible Token), des jetons numériques qui permettent aux artistes, notamment les musiciens, de vendre leurs oeuvres en les adossant à un titre de propriété numérique. Qu’en est-il vraiment et quel impact pourraient-ils avoir sur les droits des artistes ?
Les NFT sont des jetons numériques qui peuvent représenter différents contenus: musique, image, place de concert, vidéo… Le NFT est un jeton dit «non-fongible» car il est unique et n’est pas interchangeable avec un autre
NFT. C’est ce qui lui confère sa valeur. Cela permet en effet de créer de la rareté dans l’univers numérique où par
définition les possibilités de copie sont illimitées.
Sur le plan technique, les NFT reposent sur la blockchain. Cette technologie permet de stocker et d’échanger de pair à pair des informations de manière transparente, sécurisée et décentralisée. La blockchain fonctionne ainsi comme une grande base de données sur laquelle figure l’historique des transactions effectuées.
Cela permet en l’occurrence de savoir qui a émis le NFT et qui le possède par la suite. Les données enregistrées
sont réputées infalsifiables. Les NFT sont l’équivalent, dans le cadre numérique, d’un certificat de propriété et d’authenticité. Ils permettent ainsi aux acheteurs de justifier qu’ils sont les seuls propriétaires d’un objet en principe authentique.
QUEL STATUT JURIDIQUE ?
Le NFT ne bénéficie pas d’un statut juridique spécifique et la question se pose de savoir s’il peut être rattaché à certaines catégories existantes. Le NFT est-il une oeuvre de l’esprit? Pour cela, il faudrait démontrer que le NFT (sans se confondre avec l’oeuvre à laquelle il est attaché) remplit un certain nombre de conditions et notamment qu’il est original au sens du droit d’auteur. Or, un NFT ne reflète pas la personnalité de celui qui le crée. Il nous semble alors que le NFT n’est pas une oeuvre de l’esprit. Le NFT est-il un actif numérique? Dans cette catégorie, la loi (1) vise tout d’abord les crypto-monnaies. Celles-ci sont différentes des NFT puisqu’elles constituent un moyen d’échange et sont donc fongibles. La loi encadre aussi un certain type de jeton défini comme un «
bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier […] le propriétaire dudit bien» (2).
Cette définition suffisamment large pourrait englober les NFT puisqu’il n’est pas distingué selon le caractère fongible ou non. Toutefois, le texte vise initialement un autre type de jeton (3). La question du statut juridique du NFT est importante car elle détermine aussi le régime fiscal applicable, notamment à l’acheteur.
CONSÉQUENCES SUR LES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
La vente d’un NFT ne s’accompagne pas d’une cession de droits. L’acheteur d’un NFT ne détient pas automatiquement de droits de propriété intellectuelle sur la musique.
Nous retrouvons ici, sans être totalement similaire, le principe qui permet de distinguer propriété corporelle et incorporelle (4). Lorsqu’une personne achète un CD, elle ne peut revendiquer aucun droit sur les titres, si ce n’est un droit de propriété sur l’objet matériel (en tant que support physique). De la même manière, si l’acheteur ne dispose pas de droits sur l’oeuvre, il peut revendre le NFT via des plateformes du type Opensea. Le NFT ne se confond donc pas avec l’oeuvre à laquelle il est attaché. Toutefois, il y est étroitement lié.
Par conséquent, le détenteur d’un NFT ne peut en jouir que dans un cadre limité et dans le respect des titulaires de droits. Pour l’instant, ce sont généralement des artistes indépendants producteurs et également auteurs-compositeurs qui utilisent les NFT. Lorsqu’ils reproduisent leurs oeuvres sous la forme de NFT, ils demeurent en principe seuls titulaires de leurs droits de propriété intellectuelle. Les acheteurs ne deviennent pas producteurs
(ou «copropriétaires») du titre; ce qui leur donnerait droit au versement de redevances liées à l’exploitation des enregistrements.
Les artistes peuvent donc continuer d’exploiter simultanément un titre vendu sous forme de NFT. Le détenteur
du NFT ne peut empêcher l’utilisation de l’oeuvre.
LE SMART CONTRACT
Un artiste qui commercialise des NFT peut toutefois décider d’impliquer davantage les acheteurs. La transaction relative à un NFT est enregistrée sur la blockchain et régie par un «smart contract» (contrat intelligent). Ce terme ne désigne pas un contrat au sens juridique mais renvoie en réalité à des programmes informatiques qui auront pour fonction d’exécuter automatiquement des conditions prédéterminées par l’artiste. Celles-ci inscrites sur la
blockchain sont irrévocables. Par ce biais, l’artiste précise les modalités selon lesquelles il souhaite exercer ses droits. Il peut choisir de partager certains droits avec les détenteurs du NFT et distribuer des redevances à certaines échéances. Un véritable transfert de droit d’auteur devra toutefois respecter les formalités prévues par la loi (5). L’étendue des droits cédés devra être clairement précisée dans un contrat écrit. Par ailleurs, en principe, l’artiste membre d’un organisme de gestion collective comme la Sacem (auquel il a fait apport de ses droits) ne
devrait pas pouvoir céder ses droits au travers d’un NFT.
CONSÉQUENCES SUR LA RÉMUNÉRATION
L’artiste qui commercialise un NFT est rémunéré en crypto-monnaie et doit donc prendre en compte le risque lié à la volatilité du cours qui existe sur ce marché.
Une autre particularité tient au fait que l’artiste peut, via le smart contract, suivre les transmissions de l’oeuvre et programmer qu’une commission lui sera reversée à chaque revente du NFT. Lorsque l’artiste passe par une plateforme, une partie du pourcentage du prix de revente du NFT est partagée avec cette dernière. La loi reconnaît déjà un droit équivalent désigné «droit de suite» au profit des auteurs d’oeuvres originales graphiques et plastiques lorsque l’oeuvre est vendue par l’intermédiaire d’un professionnel du marché de l’art (6). S’agissant des NFT, aucune loi ne le prévoit mais la technologie permet de fait aux artistes d’en bénéficier et de surcroît directement (sans l’intermédiaire d’organismes de gestion collective).
Les NFT constituent une révolution technologique prometteuse. Associés à la technologie blockchain, ils facilitent surtout l’exercice des droits de propriété intellectuelle.
Toutefois, des diffcultés peuvent se poser, par exemple lorsqu’une personne crée un NFT sur une oeuvre dont elle ne détient pas les droits. Il est nécessaire de définir rapidement les NFT et un cadre juridique.
Cela vaut d’autant que les NFT vont continuer leur essor avec le développement des «metavers», ces univers virtuels. Une mission sur l’étude des NFT vient justement d’être confiée au conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). Les conclusions sont attendues pour juin 2022.
Johanna Bacouelle
1 Article L. 54-10-1du Code monétaire et financier (CM ).
2 Article L. 552-2 du CMF.
3 Émis dans le cadre d’offre publique (Initial Coin Offerings ou Security Token Offering).
4 Article L. 111-3 du CPI.
5 Article L. 131-3 du CPI.
6 Article L. 122-8 du CPI.
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