Les musiciens privés de train ( La lettre du musicien)

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Avec l’aimable autorisation de la Direction de La Lettre du musicien

Alors qu’Emmanuel Macron commémore les 40 ans du TGV, le syndicat Profedim dénonce le refus par la SNCF de transporter les gros instruments dans les trains. Décryptage juridique.

L’enquête nationale publiée en 2019 par l’Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST) révèle que le train est le mode de déplacement privilégié des transports interurbains de plus de 100 km, à moins de 300 km1. À la fois rapide et pratique, le train est aussi logiquement plébiscité et utilisé par les musiciens lorsqu’ils sont amenés à se déplacer dans un cadre professionnel avec leurs instruments. Cependant, il peut être complexe de savoir dans quelles conditions il est possible de voyager avec son instrument de musique lorsque ses dimensions dépassent celles autorisées par le transporteur ferroviaire.

L’action collective de la profession adressée à la SNCF

En avril dernier, alors même que les concerts et spectacles sont toujours interdits avec public en raison de la crise sanitaire, une pétition est lancée sur le site change.org pour dénoncer les difficultés rencontrées par les contrebassistes lorsqu’ils voyagent à bord des trains de la SNCF. 
Les faits qui ont encouragé cette action ont été vécus par de nombreux instrumentistes et interrogent sur l’impossibilité à ce jour de trouver des solutions adaptées pour voyager en train sans surcoût excessif avec un instrument de musique volumineux. Le 8 avril dernier, une jeune contrebassiste qui voyageait en direction de Paris pour y réaliser l’enregistrement d’un disque avec l’ensemble Les Cris de Paris, a été verbalisée par un contrôleur de la SNCF pour avoir entreposé sa contrebasse dans un espace dédié aux bagages. L’amende appliquée est d’un montant de 100 €. La sanction imposée peut sembler sévère mais elle est pourtant bien prévue par les conditions générales de vente de la SNCF. En effet, le minimum de l’amende prévue en cas de transport non autorisé d’un objet encombrant est de 50 € et peut monter selon les conditions de l’infraction à 150 € (non-étiquetage de l’instrument, entrave de la circulation etc.) 2.
La pétition adressée à la SNCF aux fins que soient autorisées les contrebasses dans les trains au même titre que d’autres catégories de bagages volumineux comme les skis ou les planches nautiques, a d’ores et déjà rassemblé plus de 33 000 signatures. Ces difficultés lors des transits ne sont pas évidemment pas propres aux contrebasses, puisque les harpes, certains instruments à percussions, ne répondent pas aux dimensions maximales des bagages autorisés par la SNCF.

Des conditions générales de vente trop restrictives

Pour les voyages en TGV Inoui, les instruments de musique ne figurent pas parmi les objets volumineux autorisés. La SNCF indique qu’un nouveau service appelé « Mes bagages » temporairement suspendu en raison de la crise sanitaire, sera accessible au mois de juin. Il devrait permettre aux usagers des trains SNCF d’organiser par anticipation l’acheminement de leurs bagages et dont le poids maximal autorisé est de 25 kg. Ce nouveau service au tarif unique de 80 euros par bagage implique toutefois de confier son instrument à un transporteur deux jours avant le départ, ce qui ne sera pas adapté à toutes les situations des artistes-interprètes qui ont besoin de travailler quotidiennement leurs instruments surtout en amont d’un concert. Pour les voyages en Intercités de jour, la réglementation semble plus souple, puisqu’il est simplement indiqué que des espaces sont prévus, au centre des voitures, pour les bagages les plus lourds, sans autre précision. Cela semble donc autoriser le transport de tout objet volumineux, y compris des instruments de musique. Lors des déplacements entre les agglomérations européennes effectués en Thalys, il est expressément indiqué que les instruments de musique transportés doivent être dans leurs étuis, de préférence rigides, et doivent respecter les dimensions maximales suivantes : 1,20 m x 0, 90 m. En cas de trajet en Eurostar, pour se rendre par exemple à Londres, le poids total des trois bagages transportés ne doit pas dépasser 25 kg et les instruments de musique ne figurent pas parmi les bagages autorisés. La lecture des conditions générales de vente de la SNCF décrites précédemment révèle la complexité de pouvoir voyager avec son instrument de musique dès lors qu’il ne respecte pas les dimensions autorisées.

Des conditions assouplies ?

L’ex-président de la SNCF Guillaume Pepy répondait dans une interview datant de 2013 pour « Radio SNCF » à la question de comment voyager en toute sécurité avec son instrument de musique. Il conseillait alors à ceux qui voyagent avec un très gros instrument, comme une contrebasse, de prendre un second billet pour transporter à côté d’eux leur instrument. Si cette solution semble la plus sécurisée juridiquement pour ne pas encourir une amende, elle ne sera toutefois pas adaptée à toutes les situations en considération du surcoût économique que cela pourrait générer, et discrimine les professionnels aux économies plus modestes. À l’heure où la crise sanitaire a particulièrement touché les artistes musiciens et leurs activités, il semble souhaitable de pouvoir imaginer des solutions pour permettre la circulation des artistes et de leurs instruments en train. L’empreinte carbone générée notamment par les déplacements liés aux activités professionnelles doit être minimisée autant que possible. Compte tenu de son faible impact écologique, le train apparaît comme le moyen de transport à privilégier pour permettre aux artistes de pouvoir aller à la rencontre de leur public.

La protection légale de la liberté de création consacrée depuis 2016

La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, dite « loi LCAP » promulguée sous le ministère d’Audrey Azoulay, a consacré dans son article 1er la liberté de création artistique. L’article 2 de la loi a rendu effectif ce principe en prévoyant que l’atteinte à cette liberté ainsi qu’à la diffusion de la création artistique est désormais punie pénalement. La diffusion des œuvres s’incarne notamment par leur représentation devant un public. Ainsi, la portée de la liberté de création artistique semble impliquer d’assurer la libre circulation des artistes mais aussi de leurs instruments et de pouvoir utiliser de manière sécurisée les moyens de transport collectifs tels que le train.

Chloé Chatté

1. Comprendre les choix et l’expérience des voyageurs en matière de déplacements interurbains – mai 2010, Étude réalisée par 6t-bureau de recherche pour le compte de l’Autorité de la Qualité de Service dans les Transports (AOST).
2. Conditions Générales de vente SNCF – novembre 2019 (p. 119).