Avec l’aimable autorisation de la Direction de La Lettre du musicien
S’il est clair qu’il ne saurait remplacer le cours en présentiel, le numérique s’immisce dans la pédagogie. Son utilisation a été accélérée par la crise sanitaire et certaines pratiques se pérennisent au sein des établissements.
Vidéos, applications, enregistrements… Durant la crise sanitaire, le numérique s’est imposé dans les conservatoires, initialement comme une solution d’urgence. « Cette période a été une forme de formation accélérée pour toutes les équipes, relève Philippe Dalarun, vice-président de la Fédération française des établissements artistiques (FFEA) et président de l’European Music School Union (EMU). Partout en Europe, tout le monde s’y est mis. C’est assez remarquable. Il y a eu une sorte de prise de conscience de ce que pouvaient être les outils numériques. » Des outils qui ont notamment permis de renforcer les échanges entre les enseignants et les familles. « Nous avons mieux communiqué : avec plus de précision, une meilleure qualité de l’information, etc. La crise nous a invités à faire un meilleur usage de ces outils», résume David Lalloz, directeur de l’école de musique du Bouscat (33) et trésorier de la FFEA.
Alors que les établissements ont pu reprendre leurs activités en présentiel, certaines pratiques se maintiennent. Et la question du numérique dans l’enseignement de la musique est au cœur des réflexions. Elle est notamment intégrée à « IntoMusic », un projet du programme européen Erasmus +. Dans ce cadre, Gaël Navard, professeur de composition électroacoustique au conservatoire de Nice, a été invité l’été dernier à participer à un groupe d’échanges. « Le principe était de regrouper des enseignants de plusieurs pays européens pour aborder cette question. La plupart n’étaient pas du tout des spécialistes du numérique et étaient à la recherche de nouveaux outils, raconte-t-il. J’ai constaté que beaucoup étaient en demande de formation. » Le numérique fait également partie des axes majeurs du prochain programme européen Europe Créative de 2021-2027.
Nouvelles habitudes
Les mois de crise sanitaire auront permis de perfectionner peu à peu l’usage du numérique. «Il ne faut pas confondre les solutions d’urgence et donc imparfaites de cette période avec ce qui peut être mis en place aujourd’hui et demain dans les conservatoires», nuance Philippe Dalarun. Dans certaines situations, les établissements continuent, encore aujourd’hui, de privilégier le distanciel. Les réunions en visioconférence (conseils pédagogiques, préparations de projet, etc.) peuvent en effet s’avérer particulièrement utiles pour les enseignants qui jonglent entre plusieurs écoles. « C’est vraiment rentré dans les mœurs», constate Florence Paupert, présidente de l’association Conservatoires de France (CDF) et directrice du conservatoire de Saint-Quentin (02). Les rendez-vous en ligne se sont également généralisés. « Ce système permet d’éviter les files d’attente, explique Philippe Dalarun. Cela fait longtemps que les établissements y réfléchissaient mais ça n’avait pas été mis en place partout. » De même, le télétravail est encore sollicité par le personnel administratif. D’autres outils comme le padlet– un « mur virtuel » qui permet de partager des documents – se sont eux aussi imposés. « C’est un outil qui était déjà utilisé avant la crise mais de manière épisodique. Là, nous sentons que cela va rester dans les habitudes», pressent Florence Paupert. Le besoin d’espaces numériques de travail, à l’instar de ce qu’il existe dans l’Éducation nationale, s’est aussi largement fait ressentir et « certains conservatoires en ont construit en partenariat avec leur collectivité », relève la présidente de CDF.Par ailleurs, plusieurs applications et sites spécialisés se sont développés. « Nomad Play, EarMaster, Finale, Nyumba 1, etc. Tous ces supports font partie de l’accompagnement pédagogique des élèves et, à présent, on les utilise plus spontanément. Il y a 25 ans, ce type d’outils existait déjà mais ils ont beaucoup évolué, souligne David Lalloz. Une évolution en phase avec les pratiques des élèves. Ils utilisent quotidiennement des outils numériques, pour eux c’est très naturel. » Mais la généralisation de ces usages requiert des budgets spécifiques. « Il faudrait à présent un « plan numérique » dans les projets d’établissements qui prennent en compte ces évolutions et qu’il y ait des moyens alloués pour ces outils, affirme Philippe Dalarun. Peut-être qu’il y aurait quelques économies à faire sur d’autres points comme les partitions par exemple. » Ces nouvelles habitudes nécessitent également de se pencher sérieusement sur la question du Règlement général sur la protection des données (RGPD). « C’est très important de travailler de pair avec le service informatique de la collectivité», insiste Philippe Delarun.
Nouvelles formes d’enseignement
La crise a laissé la part belle à la créativité des professeurs qui n’avaient plus que le numérique pour communiquer avec leurs élèves. « De nouvelles formes d‘enseignement se sont créées. Au Bouscat, pendant la pandémie, comme nous ne pouvions pas faire de spectacle, nous avons réalisé un clip à la place du spectacle de fin d’année des classes à horaires aménagées. Tout ça est complètement nouveau ! C’est une habitude qui est née pendant le Covid et qui, à présent, fait partie de nos objectifs pédagogiques, raconte David Lalloz. L’usage du numérique peut également être très intéressant pour les élèves porteurs d’un handicap. Il faut réfléchir aux actions que nous pouvons mettre en place dans ce sens. » Plus globalement, l’enregistrement a pris une place essentielle au sein du processus pédagogique. « Une bonne partie des élèves a été amenée à s’enregistrer et, ce faisant, à progresser. Dans ces conditions, il était difficile d’y échapper, explique Philippe Dalarun. La question est maintenant celle de l’acquisition de lieux et de matériel pour pouvoir réaliser des enregistrements de bonne qualité. »
Toutefois, le constat est unanime : ces outils viennent en complément des cours en présentiel, auxquels ne pourrait se substituer la visioconférence. « Dans tous les échanges que j’ai pu avoir avec les autres directeurs de structures, le présentiel l’emporte. Il n’y a aucun doute sur ce point», assure Florence Paupert. Néanmoins, certains parents d’élèves sont demandeurs de cours à distance. « Je déconseille aux établissements de s’engager dans cette voie-là parce que c’est très dangereux, notamment en termes de relation humaine», avertit Philippe Dalarun. « La musique est une arme de création sociale que je ne retrouve nulle part ailleurs. Elle met des gens en contact, elle les réunit, profondément. Quand il y a un écran, ce n’est pas pareil », affirme Christophe Guilbert, directeur du conservatoire de Falaise. Sans oublier que, dans certains établissements, l’accès au numérique n’est pas aussi aisé que dans d’autres. « Nous n’avons même pas la fibre », rappelle Christophe Guilbert. Toutefois, les cours en visioconférences peuvent être envisagés dans certains cas bien précis. Celui d’un élève qui partirait un an à l’étranger tout en souhaitant poursuivre son cursus par exemple. Par ailleurs, «certaines écoles privées cherchaient à se spécialiser sur ce créneau», a constaté Gaël Navard lors des échanges européens.
Formation
Si les enseignants se sont formés par eux-mêmes durant les mois de crise, la question de la formation reste sur la table. « La conséquence de tout cela, c’est qu’il faut mettre en place des formations pour les enseignants puisque ce sont les outils de demain», nous dit Philippe Dalarun. À Bordeaux, par exemple, la métropole a mis en place des sessions de formations pour aider les enseignants à animer des cours collectifs à distance. Des « référents numériques » ont également été désignés au sein des établissements. « Toutes ces questions-là sont en réflexion et il faut réussir à faire évoluer la pédagogie sans que le numérique ne vienne tout envahir», conclut Philippe Dalarun..
Flore Caron
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