Avec l’aimable autorisation de la Direction de La Lettre du musicien
La crise sanitaire a bouleversé la vie des formations françaises et étrangères. Port du masque, réduction des effectifs, programmations adaptées… tout a été revu pour permettre à la musique de vivre et de se jouer dans cette situation sanitaire imprévisible.
D’abord, ils ont été pris de court par le confinement, avant de trouver des solutions innovantes et généralement numériques pour maintenir le lien avec le public et faire vivre la musique. Ensuite, dès le déconfinement, certains orchestres ont tenu à retrouver les émotions du spectacle vivant, en se produisant en formation réduite dans les parcs, les maisons de retraite, sur les places des villes. Un premier retour à la musique avant de définir plus ou moins clairement les conditions d’une rentrée et les programmes, dans le respect des règles sanitaires. L’Orchestre des Pays de Savoie, pressentant « un retour aux salles compliqué », a privilégié « les lieux de proximité. Nous avons un programme de musique de chambre qui prend place, notamment, dans les établissements médicaux, les jardins », explique Julie Mestre, administratrice générale.
Distanciation physique
À l’Orchestre philharmonique de Strasbourg (OPS), le calendrier des concerts a été maintenu pour la saison, mais les programmes modifiés. « On a dû changer certains programmes pour que l’effectif soit compatible avec la distanciation demandée et la capacité de la salle », explique la directrice générale, Marie Linden. Les 110 musiciens permanents ne pouvant tous jouer sur scène, les nouveaux programmes prévoient plutôt des concerts avec une soixantaine d’exécutants. « Ils se partagent les concerts, tournent entre eux. Ils sont un peu déçus de ne pas jouer sur le rythme habituel, mais tout le monde l’accepte. » Des décisions similaires ont été prises à Marseille, dont l’Orchestre philharmonique compte 88 musiciens. « Nous avons changé le programme pour avoir un orchestre avec 40 éléments maximum, rapporte l’administratrice, Ilaria Bandieri. Ils ne sont pas encore retournés en fosse, nous avons adapté les opéras avec l’orchestre sur scène. » Pour L’Italienne à Alger, 35 musiciens sont sur le plateau et l’opéra se tient « avec une petite mise en scène ». Les orchestres appliquent en général une distance de 2 mètres entre les vents et de 1,5 mètre entre les cordes ; à moins d’un mètre, ces derniers devraient jouer avec un masque. Le respect des distances est aussi de mise lors des répétitions, qui doivent se tenir dans une salle suffisamment grande. Faute de place, Emmanuel Trenque, chef du chœur de l’Opéra de Marseille, doit travailler en partiels avec ses 60 chanteurs : « J’aménage également les répétitions en fonction de leur enchaînement : je ne vais pas avoir la répétition des sopranos puis des altos deux heures après au même endroit. Pour éviter d’utiliser un même siège ou pupitre, on change de salle. »
Masqué jusqu’au pupitre
Un pupitre par personne, chacun sa chaise et ses lingettes pour la désinfecter si nécessaire : c’est la nouvelle routine des musiciens d’orchestre. « On leur demande de venir au concert déjà habillés, rapporte Fabienne Voisin, directrice générale de l’Orchestre national d’Île-de-France (Ondif). On a mis en place un protocole de circulation dans les espaces hors scène. Il n’y a pas de cafétéria. Ils doivent porter leur masque jusqu’au pupitre. » À Toulouse, les cordes de l’Orchestre national du Capitole (ONCT) sont encouragés à garder le masque en fosse. À l’OPS, les musiciens ont demandé à réduire la distance entre les cordes, quitte à porter un masque, de façon à être plus nombreux à jouer, « une demande en discussion avec la médecine du travail », précise Marie Linden. Même parmi les chanteurs, certains préfèrent garder le masque lors des concerts à l’Opéra de Marseille. « Nous préférons leur laisser le choix, considère Emmanuel Trenque. Le public ne nous a pas signalé que cela le gênait, esthétiquement ou musicalement. » Les répétitions sont aussi ponctuées de pauses pour aérer les salles. Le coût généré par les équipements sanitaires n’est heureusement pas trop élevé pour les orchestres français. Julie Mestre estime à 3 000 euros le budget équipement (colonnes de gel hydroalcoolique, Plexiglas, matériel d’hygiène) et à 1 500 euros le budget télétravail.
Itinérance au temps du Covid
Pour certains orchestres amenés à rayonner en région, la logistique est encore plus complexe. L’Ondif devait se produire dans plusieurs dizaines de salles d’Île-de-France entre septembre et décembre. « Il a fallu vérifier que le programme pourrait être joué dans toutes ces salles, voir quelle réduction d’effectif était à faire pour chacune, explique Fabienne Voisin. Il y a une salle où nous ne jouerons finalement pas du tout. » L’Orchestre symphonique de Bretagne (OSB) est dans la même situation. « Nous dépendons de plusieurs salles, de l’opéra, qui ont beaucoup de choses à gérer en ce moment, et c’est parfois un peu compliqué d’accorder nos violons ! confie l’administrateur, Marc Feldman. Ailleurs dans la région, où tous les autres départements sont en zone verte, il y a également des dissonances, car ils ne comprennent pas forcément nos réticences, nos exigences. » L’orchestre apporte ses propres pupitres et chaises pour chaque concert en dehors de Rennes. Les phalanges françaises ont aussi dû redéfinir certaines de leurs actions d’éducation culturelle. L’Ondif travaille habituellement le chant avec de jeunes élèves, « mais pour faire du Covid compatible, on se tourne vers le percussions corporelle avec une création sur des œuvres de répertoire », note Fabienne Voisin.
Artistes internationaux
Les orchestres subissent aussi les difficultés de déplacement à l’étranger. L’OSB se retrouve ainsi privé de son chef depuis plusieurs mois, Grant Llewellyn étant toujours en Grande-Bretagne. « Il devrait respecter une quatorzaine s’il voulait retourner chez lui ensuite, alors pour le moment il ne vient pas, nous explique Marc Feldman. J’ai l’impression d’être privé de mon frère d’armes, un peu comme amputé dans notre projet. Les réunions virtuelles ne remplacent pas la présence d’un directeur musical. L’aspect positif de cette absence, c’est qu’on découvre de jeunes chefs. De la même façon, des solistes français qui tournent surtout à l’étranger et n’ont d’habitude pas le temps de venir jouer chez nous sont maintenant plus disponibles. » L’Ondif, pour continuer à faire venir des solistes et des chefs étrangers, a un partenariat de test avec un laboratoire parisien, « sinon, ils hésitent à venir, car rentrer chez eux sans test négatif peut entraîner des quarantaines », explique Fabienne Voisin.
TESTS COVID
La question des tests est un vrai casse-tête pour les musiciens, surtout quand ils vont jouer à l’étranger, mais aussi dans les orchestres quand un cas de Covid est suspecté. L’ONCT a connu cette situation le mois dernier. Huit musiciens de l’harmonie, qui jouaient notamment Cosi fan tutte, ont dîné ensemble au début du mois. Quelques jours après, un des musiciens a été testé positif, ce qui a entraîné la mise en quarantaine des sept autres, pour la plupart solistes. Ils ont été suspendus une semaine avant de pouvoir faire un test, dont les résultats ont mis plus de 48 heures à être communiqués. Ils étaient négatifs. Quatre des musiciens “cas contact” ont ainsi raté le premier service d’une nouvelle série.
Poids de la responsabilité collective
Les musiciens de l’ONCT ont appris qu’ils étaient cas contact deux heures avant la représentation. Il a fallu s’adapter, et l’opéra a été donné avec piano et clavecin. Il y avait une autre représentation le dimanche, « pour laquelle le pianiste a travaillé tout le week-end sur une version avec cordes et percussions », rapporte la flûtiste Sandrine Tilly, qui a également remplacé au pied levé, pour un concert symphonique, en tant que soliste, sa collègue, Joséphine Poncelin. Laquelle a difficilement vécu l’épisode : « On était catastrophés. On se sentait très coupables, alors même que nous n’avions rien fait de dangereux ou d’interdit. Certains collègues nous ont jugés irresponsables, d’autres nous ont rassurés en disant que ça pouvait arriver à n’importe qui. Personne n’a complètement tort. » Si Joséphine Poncelin avait été diagnostiquée positive, ses voisins de pupitre n’auraient pas été cas contact, car les gestes barrières étaient respectés, mais les personnes avec lesquelles elle a pu manger lors des pauses déjeuner l’auraient été. « Ce qui est sûr, c’est que nous allons devoir faire preuve d’adaptabilité pendant toute la saison pour que la musique continue, quitte à déchiffrer une symphonie sur scène », considère Sandrine Tilly.
Adaptation et coopération
L’adaptabilité reste le maître mot de ce premier trimestre de reprise, particulièrement dans les métropoles concernées par le couvre-feu. Une adaptabilité qui fatigue les équipes, sur le pont depuis mars. « J’ai l’impression d’avoir construit une superbe bibliothèque et qu’elle m’est tombée sur la tête, résume Marc Feldman. Il y a une grande volonté des musiciens et des équipes, mais c’est difficile psychologiquement. » Les programmes modifiés mois après mois et les contraintes logistiques augmentent aussi la charge de travail des bibliothécaires, de la régie. « On essaie de prendre en compte cette charge supplémentaire, l’absence de visibilité étant le plus difficile à gérer nerveusement, rapporte Marie Linden. Mais nous tirons aussi de cela une nouvelle solidarité. » Les équipes de direction ont davantage travaillé avec les musiciens, dans l’écoute. Joséphine Poncelin, qui est déléguée de l’orchestre, apprécie cette coopération : « On a pu faire les ajustements des espaces entre les vents et les cordes, réfléchir ensemble aux changements de siège entre deux parties de concert. À la dernière réunion, en octobre, on nous a redemandé si certains manifestaient toujours de l’angoisse liée à la situation. »
Malgré la fatigue des équipes et l’incertitude, tous cherchent à se focaliser sur le positif. « Je suis heureux d’être en France ! Quand on voit ce qu’il se passe en Grande-Bretagne, aux États-Unis, il faut aussi savoir se dire que nous avons la chance d’avoir un tel système », considère Marc Feldman, qui trouve de l’énergie en « planifiant l’avenir ». Reste que la décision du couvre-feu annoncé par Emmanuel Macron le 14 octobre, entraînant la fermeture des salles de concert à 21 heures en Île-de-France et dans huit métropoles, est un nouvel enjeu à prendre en compte pour les orchestres, qui doivent désormais anticiper ou raccourcir les concerts. Les plans B ne sont pas terminés.
Mathilde Blayo